Cap sur les Shetland
Les Flying Badgers à Barra : Alain, Serge, Natacha, Luc, Jean-Philippe, Eric, Marc, Frédéric et Norbert.
Par Frédéric Jacques, Jean-Philippe Chlous, Natacha Anglezi, Photographies Amaury Laurent
Dès janvier, les réunions s’enchaînent tous les mois pour un départ prévu mi-juin. Nous définissons les routes en fonction des objectifs de chacun : paysages, types de pistes (Barra), lieux à voir du ciel ou à visiter d’en bas, etc., vérifions les plans de vol, les contraintes (General Aviation Reports) et, bien sûr, les règles de vol des différents pays traversés. Entre chaque réunion, des groupes plus réduits travaillent sur des points précis : réglementation, routes, informations météo disponibles, plans de vol, négociations de PPR, coûts des taxes et du carburant, etc.
Notre objectif est de rejoindre les îles Shetland en passant par les îles françaises de l’Atlantique, les îles Anglo-Normandes, l’Irlande et les îles Hébrides, et prévoyons un retour par l’Angleterre. Les équipages sont exclusivement constitués de pilotes : dix dans quatre avions, un Piper PA-28 Arrow III, un Piper PA-28 Arrow IV Turbo, un Cessna 177 Cardinal et un Cirrus SR22.
Début juin, tout est paré. Les logs de navigation sont prêts, les GPS préparés avec les routes, les avions sont révisés avec un potentiel d’au moins 40 heures et nos contacts sur les aéroports sont prévenus et nous attendent. Nous prévoyons un départ le vendredi 12 et préparons une navigation difficile d’un point de vue météo. Dès le mercredi, alors que nous suivons l’évolution de la météo tous les jours, nous constatons le passage d’un front sur le sud de la France. Aussi, nous anticipons un décollage de Cannes et Aix dès le jeudi 16 h 30 avec les deux PA-28 Arrow pour rejoindre Bordeaux et les deux autres avions.
Cahors – Saucats – Quimper – Jersey
Sur notre route, comme prévu, le front accompagné d’orages et de pluies, est présent. Un véritable rideau de pluie assorti d’éclairs et de fortes turbulences nous empêche de rejoindre Agen. Nous optons pour passer la nuit à Cahors LFCC. En langage aéronautique, nous aurions dit : CB SCT 1400, Visi 5000 et RA.
Sur place, l’aéroport est en auto-information. Après des atterrissages sans histoire mais sous la pluie, à la recherche d’âme qui vive, nous tombons heureusement sur le Club Para de Cahors en train de dîner, des paras superaccueillants ! Nous nous renseignons pour un taxi, un hôtel, suivi du verre de l’amitié avant de rejoindre le centre de Cahors. Nous repartons le lendemain matin malgré une couverture nuageuse basse et arrivons finalement à Bordeaux Saucats LFCS. L’équipe locale nous a réservé une table au restaurant de l’aérodrome. Menu excellent et ambiance sympathique, à recommander à ceux qui s’arrêtent à Saucats. Le samedi aurait dû être consacré à une session de combat aérien avec ACE (Air Combat Expérience) mais c’est annulé, toujours en raison de la météo (ce n’est que partie remise). Le voyage démarre donc avec un jour d’avance !
Samedi, décollage 10 h 00 en direction du bassin d’Arcachon et de la dune du Pilat. Il faut ouvrir l’œil car pendant le week-end, le ciel est envahi d’avions et de parapentes en tous sens. Nous survolons les deux cabanes tchanquées de l’île aux Oiseaux, admirons la dune du Pilat et longeons ensuite les plages en direction du nord et de la Bretagne, contournons l’île d’Oléron obscurcie, invisible sous une énorme cellule orageuse. En contournant celle-ci par l’est, nous mesurons la puissance de ce phénomène où les éclairs se succèdent. Puis, place au beau temps et nous poursuivons en sautant d’îles en îles : Ré, Yeu, touché des roues sur la piste de Belle-Île LFEA, Groix, Les Glénan, Sein, Molène et re-touché à Ouessant LFEC.
Cellule Orageuse sur Oléron.
Le phare d’Ouessant
Le Mont Saint-Michel.
La côte bretonne ensoleillée nous fait voyager de phare en phare jusqu’à Quimper LFRP pour une halte, un sandwich et le plein d’Avgas puis nous reprenons notre vol en direction de Jersey via le Mont Saint-Michel. Les deux PA-28 volent en formation pour réaliser de belles photos autour du monument, sans pénétrer la zone interdite comme il se doit (rayon 2 Nm, de 0 à 3 000 ft) ! S’en suit une petite traversée maritime vers Jersey EGJJ. La langue anglaise nous immerge un peu plus dans l’idée du voyage. Tout le monde est à jour de son FCL.055.
Jersey, avec sa piste de 1 700 m alignée en 08-26, est très accueillante pour l’aviation générale. L’atterrissage peut se faire entre deux vols commerciaux avec un peu d’attente. L’aéro-club de Jersey est réellement à la disposition des pilotes visiteurs. Le parking, le refueling, l’assistance sont vraiment exceptionnels. S’il y a un aéroport à recommander, c’est vraiment celui-là. À £1,05 le litre, soit environ 1.50 € le litre, faire le plein est un plaisir. Les taxes d’atterrissage à £13.23 sont raisonnables, avec même une réduction pour les membres AOPA. Le parking aviation générale est quant à lui gratuit.
Natacha – notre seule femme pilote – avait préparé des listes d’hôtels pour toutes nos escales. Coup de chance, le premier répond et possède des chambres disponibles. Nous louons une voiture et comme à chaque escale, c’est hôtel, visite, resto et validation du vol du lendemain (couple Météo-NOTAM)…
Approche sur Londonderry.
Waterford – Londonderry
À 08:00 – heure locale (nous avons changé d’heure) – le lendemain, le plafond est à 500 ft. Les vols VFR sont interdits par le contrôle qui refuse la mise en route. Nous profitons donc encore un peu du super club-house et retardons les plans de vol dans le système informatique qui les envoie en AFTN. Dès que le plafond passe à 800 ft (vers 09 :00), décollage rapide car plus au nord, les prévisions sont bonnes. Verticale Guernesey EGJB, le ciel est grand bleu, on monte à 4500 ft pour traverser la Manche. Le vol se déroule sans problème jusqu’en Irlande où nous refuelons à Waterford EIWF.
L’agent de piste nous informe que Londonderry EGAE n’a pas reçu nos GAR (General Aviation Report, requis sur la plupart des terrains du Royaume-Uni). Étonnant, mais nous les envoyons à Londonderry en 2 minutes. Tout était stocké sur nos iPad. Waterford accueille du trafic commercial, aussi pour rejoindre nos avions, les agents d’escale sont obligés de vérifier nos papiers et nos licences, mais également de nous éditer des cartes d’accès à bord pour nos propres avions. Nous repartons vers l’ouest de l’Irlande pour découvrir les îles d’Aran – Inishmore, Inishmann et Inisheer – dans la baie de Galway puis les fameux lacs du Connemara, popularisés par Michel Sardou. Il y a peu de trafic mais devons consciencieusement contacter chaque petite CTR pour obtenir les autorisations de transit.
L’arrivée à Londonderry EGAE se fait sous le soleil, c’est rare. Il ne fait que 12°C mais nous sommes vraiment chanceux ! Comme d’habitude, voiture, hôtel, restaurant mais pour une fois nous allons visiter un peu. À une heure de route vers le nord, se trouve la Chaussée des Géants. C’est une concentration d’énormes pierres volcaniques dont la contraction rapide de la lave lors de son refroidissement leur a donné une forme hexagonale. Ces orgues basaltiques sont magiques.
La soirée a été un peu arrosée (à La Guinness comme il se doit) avec une musique irlandaise entraînante (chez Pedear O’Donnell – pub à ne pas manquer). Le réveil le lendemain est un peu dur. Une première équipe part pour l’aéroport afin de déposer les plans de vol. L’équipe de contrôleurs de la tour s’en charge pour nous. Il faut dire que pendant la préparation, nous avons imprimé tous les plans de vol, nous n’avons qu’à leur transmettre notre impression du document et les agents se chargent de le recopier dans leur système.
Barra – Inverness -Tingwall
9h40, le premier avion part en reconnaissance et en circuit d’attente photo/vidéo sur Barra EGPR, dans les Hébrides extérieures. C’est l’Écosse. Il s’agit du seul aéroport au monde où des services réguliers atterrissent sur une plage ! Nous avons convenu avec le contrôle d’arriver juste après le Twin Otter régulier. Cela nous indiquera l’état de la piste/plage et l’axe d’atterrissage retenu.
Nous ne pouvons éviter un passage bas au-dessus de la Chaussée des Géants pour l’admirer vue du ciel. Après une bonne heure de navigation au-dessus de quelques régions à whisky (Islay, Tobermory), nous apercevons le golfe de Barra et entendons à la radio, le Twin Otter qui vient d’atterrir en « piste » 15. Comme recommandé, nous faisons un passage bas et lent pour voir les repères d’entrées de piste : quelques panneaux sur la plage et les quelques ramasseurs de coques aux abords.
Atterrissage en 07 pour le Cirrus.
C’est le moment, nous revenons nous positionner en finale 15, puis atterrissage standard. Des flaques nous freinent beaucoup. Sans s’arrêter pour ne pas s’ensabler, nous faisons demi-tour pour revenir au parking. En montant à la tour, nous rencontrons Angela, notre contrôleur, qui est la personne avec laquelle nous communiquions depuis plusieurs mois pour organiser cet atterrissage. La marée descendante, libère d’autres axes de piste. L’atterrissage des autres avions et le décollage se feront donc en 07. Après nous être restaurés (pas d’Avgas à Barra), nous repartons vers 13:00 direction Inverness.
Nous survolons l’Écosse et ses paysages rendus célèbres par le cinéma. Nous repérons le fort de Highlander, le train de Poudlard et le viaduc de Glenfinnan dans Harry Potter. Ensuite, notre trajectoire nous amène à survoler le Loch Ness. Nous ouvrons les yeux pour repérer le monstre, mais en lieu et place nous avons droit à deux Tornado qui nous dépassent par la droite. C’est joli, mais préoccupant… Savaient-ils seulement que nous étions là à la même altitude qu’eux ?
Un refuel rapide sur Inverness EGPE et nous reprenons notre route sur Tingwall EGET aux îles Shetland car le terrain est théoriquement fermé mais le personnel du contrôle a accepté de rester et de laisser les installations ouvertes jusqu’à notre arrivée. Ne tardons pas trop tout de même. Encore une fois, l’anticyclone est au-dessus de nous, le ciel est grand bleu mais venteux.
L’atterrissage sur cette piste courte en descente, avec un fort vent de travers, est délicat, l’empennage en T ne facilite pas l’arrondi du PA-28 Arrow IV : le touché est un peu long mais l’arrêt se fait heureusement avant la fin de la piste. Peut-être qu’une remise de gaz aurait été la bienvenue… Hum…
C’est le terrain le plus proche de la ville de Lerwick. Le taxi nous y emmène pour trouver un hôtel mais il y a un congrès Total – les plates-formes pétrolières sont nombreuses dans le coin. On nous propose une sorte d’auberge de jeunesse avec une chambre à 4 lits superposés et une chambre double. Ce soir, ce sera ambiance colonie de vacances. En partant pour le restaurant, nous apercevons un couple de phoques qui joue sur la jetée. Nous faisons « local » en goûtant la fameuse panse de brebis farcie. Ce « Haggis », bien cuisiné, est très bon. Au moment de payer, en livres bien sûr, le serveur nous rattrape car il ne connaît pas ces billets venant d’Irlande du Nord aux motifs et portraits différents de ceux d’Écosse ou d’Angleterre. Au bout de 20 minutes de discussion, il finit par les accepter, il n’y a pas de raison. Finalement, l’Euro a du bon.
Dundee – Elvington
Mardi, la journée commence par un point météo particulier car un équipage avait préparé un aller/retour en Islande avec son SR22. Mais la météo sur les îles Féroé est trop mauvaise et ne permet pas un déroutement serein. Nous ne prenons pas de risque, tout le monde décide finalement de suivre le mouvement de l’anticyclone et de redescendre vers le sud. Décollage, visite de l’île et vol à proximité des plates-formes puis nous quittons les Shetland par une verticale du grand terrain de Sumburgh EGPB et de Fair Isle EGEF avant de rejoindre les côtes écossaises et se poser à Dundee EGPN. Notre journée d’avance nous permet d’envisager un stop à York mais nous n’avions pas prévu de terrain. Où se poser ?
Jean-Philippe, féru d’histoire aéronautique, nous rappelle que l’aéroport d’Elvington EGYK, au sud-est de York, était un terrain de la RAF pendant la Deuxième Guerre mondiale et qu’il possède un musée. Cette base a également accueilli les Forces Françaises Libres en 1944-45 qui opéraient sur bombardiers lourds Halifax avec les Alliés. Superbe idée ! Nous trouvons les coordonnées du musée [voir encadré] qui nous passe la piste et l’autorisation en poche, nous reprenons les airs.
Passage par la Roue de Falkirk pour voir ce chef d’œuvre d’ingénierie qui permet d’élever des navires de 24 m et remplace 11 écluses. À l’arrivée à Elvington (attention, défini comme un « unlicensed private airport »), un agent, une petite radio à main, assure l’information de trafic. 3 km de piste rien que pour nous. Et de nouveau : taxi, hôtel, mojito, resto. Une petite geocache – le geocaching est une « chasse au trésor » qui consiste à retrouver à l’aide d’un smartphone ou GPS des boîtes cachées par d’autres personnes dans la nature – nous permet une promenade digestive dans York.
Nous consacrons la journée du lendemain à la visite du musée qui a conservé la base aérienne comme à l’époque. Les Forces Françaises Libres n’ont pas été oubliées, Sandrine et Barbara nous accueillent en français. L’entrée est même offerte aux pilotes. Le musée expose en statique une belle collection d’avions (Mosquito, Spitfire, Hurricane, DC-3, Handley Page Victor, Hawker Harrier, Vampire et bien entendu LE Halifax). La piste privée d’Elvington est vierge de tout autre appareil que nos quatre avions. Les 3000 mètres nous étant complètement dédiés, nous en profitons pour faire quelques décollages et atterrissages et tourner quelques séquences aériennes.
Duxford – Biggin Hill – Lille
Jeudi : ce soir, on dort à Londres. Toujours dans l’esprit historique, notre première destination est Duxford EGSU. Un décollage d’Elvington pour atterrir à Duxford, le rêve… Duxford est visible de loin, ce sera une arrivée en 24 pour cette piste mythique de 880 m, en roulant sur le taxiway, sur notre gauche, le B17 Memphis Belle ou Sally B (selon que l’on regarde à droite ou à gauche). Au musée, les entrées offertes, nous passons deux bonnes heures à visiter tous les hangars et les centaines d’appareils (B29, B52, B17, SR71, F15, etc.). En piste, un Messerschmitt BF108 Taifun décolle pendant qu’un Spitfire démarre.
Duxford : un Spitfire biplace au démarrage.
D’ailleurs, en repartant, le contrôle nous autorise à nous aligner après le passage du Spitfire. On s’y croit !
Pour les départs, nous essayons de les rapprocher pour voler en patrouille. Cela nous permet de contacter Londres et négocier une radio pour tous les avions. À notre grand étonnement, nous sommes autorisés à faire une verticale London City Airport, ce qui nous permet d’admirer Londres de très, très près. Aussitôt après, nous sommes déjà à Biggin Hill EGKB. Devenue aéroport d’affaires, cette ancienne base de la RAF est bien fréquentée. Dans le hangar tout neuf, il y a un Me 109 à côté d’un Cirrus… Contraste.
Pour le transport, nous prenons un taxi puis le train vers Victoria Station. En moins d’une heure, nous sommes dans le centre de Londres. On y retrouve Léa, la fille d’Eric, qui nous trouve un petit hôtel pas cher et proche du centre. Il ne reste plus qu’à trouver un restaurant et un mojito !
Le lendemain, nous consacrons la matinée à une visite de Londres en bus à impériale rouge. Facilement – et sous le soleil – nous traversons Londres avec des commentaires en français diffusés dans les écouteurs. Après Tower Bridge, nous descendons et le retour vers Big Ben s’effectue en bateau-mouche, inclus dans le tarif.
Le tour terminé, nous regagnons Biggin Hill et repartons vers la France. Un survol de Dunsfold EGTD nous permet d’observer le lieu de tournage de la célèbre émission automobile anglaise : Top Gear. L’aérodrome est encombré de voitures en tout genre, de camions de tournage. Cela ressemble plus à un circuit qu’à un terrain d’aviation. La Manche est traversée en quelques minutes, nous rejoignons le Cap Blanc Nez et la piste de St Inglevert LFIS se révèle excellente pour effectuer un passage bas et saluer les Français pour notre retour au pays.
On passe St Omer LFQN puis Lille LFQQ nous accueille sur le parking. C’est désert, nous sommes les seuls. Même l’aérogare aviation générale est fermée. Une navette du terminal vient finalement nous chercher. Alain, le régional de l’étape, nous fait découvrir les plus beaux endroits du vieux Lille puis nous décompressons de cette journée en buvant quelques mojitos au restaurant Meert (sans oublier les mets succulents) et en route vers le charmant hôtel de la Treille.
Romans Saint-Paul et Cannes
Le dernier jour est là… Nous décollons pour Cannes et Aix en direct au niveau 105. Avec le vent dans le dos, le PA-28 Arrow IV passe les 211 Kt de vitesse sol. Le PA-28 Arrow III prend son temps et survole à plus basse altitude les paysages du Morvan, de la Bourgogne, poussant même jusqu’à faire une verticale du musée fou du Château de Savigny-lès-Beaune : incroyable ! Ce château héberge différents musées dont celui de l’aéronautique et nous apercevons environ 80 avions de chasse – Alpha Jet, Mirage, Mig… – stationnés dans le parc.
Une halte à Romans Saint-Paul LFHE, dans l’Isère, sur un terrain très accueillant, sans taxe et avec de l’essence. Nous racontons nos aventures aux pilotes de l’aéro-club sous le soleil et surtout une température qui est bien différente de celle du nord de l’Écosse. En fin d’après-midi, tout le groupe se retrouve au club-house de l’UACA, à Cannes, pour nettoyer et rendre les avions propres, finaliser les comptes et rêver au prochain voyage.