Le Tour d’Écosse
Par Frédéric Braun, Photos Bernard D’Oriano.
À force de répéter que ce serait plus sympa de faire un grand voyage plutôt que de renouveler une fois encore la « grande » aventure qui consiste à aller se poser dans un restaurant pour y déjeuner, la décision est finalement prise : ce sera l’Écosse ! Alors, les amis, qui veut participer au voyage ? Au final, nous sommes 5 copains pilotes privés à confirmer notre intérêt, dont un élève en fin de formation au PPL (H). C’est clair, il faudra deux R44 !
Nous en partageons déjà un en copropriété, basé à Lognes, il nous faut donc en trouver un autre et qu’il soit aussi un Clipper II, traversée du Channel oblige ! Un peu de bouche-à-oreille et nous trouvons un club qui accepte de nous louer un appareil qui sera placé sous la responsabilité d’un de leur instructeur (lequel a eu la bonne idée de naître de père écossais et de mère irlandaise, ce qui détend quant à la mise en « live » redoutée par les récents titulaires de la compétence FCL055 que nous sommes !). En plus, cela va permettre à notre jeune impétrant de poursuivre sa formation…
Le mythe du château écossais, avant de quitter le continent pour aborder Islay.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour les autres, mais le fait de me retrouver avec de l’eau dessous, devant, derrière et sur les côtés ne me détend pas particulièrement… Mais bon : pourquoi le moteur, qui n’a jamais eu de problème et qui, de surcroît, ignore que nous sommes sur l’eau, s’arrêterait-il maintenant ? Restons zen et recalculons (ça fait déjà dix fois…) combien de temps il reste avant d’atteindre la côte. Elle se dessine au dernier moment avec un temps laiteux qui s’éclaircit au niveau des falaises : il fait beau sur Albion avec une traîne qui se charge.
Nous nous posons à Headcorne, l’accueil est sympa et simple quant aux formalités. Mise en contact avec l’English food au « bar des ailes ». Quand on a faim tout passe… C’est ensuite parti pour la montée vers le nord avec des étapes essence prévues toutes les heures et demie, incluant un changement de pilote afin que chacun en profite et garde « l’œil frais ». Pendant ce temps, la traîne ne reste pas inactive et devient même carrément hostile à l’approche de la CTR de Manchester : masses noires pré-orageuses, grosses averses, stratus filants, et plafond en chute libre… C’est l’image d’Epinal du British weather…
Le contrôle autorise nos descentes successives afin de rester sous les barbules, on est 1 000 ft. Six paires d’yeux scrutent les obstacles qui pourraient surgir, la vitesse est réduite et on chemine entre les averses en visant les zones les plus claires, malheureusement la partie amicale nous obligerait à nous rapprocher encore des pistes de l’aéroport, ce qui est cette fois refusé par le contrôle. Donc, diminution de cap drastique et on essaie par le sud-ouest où il y une zone où le plafond semble meilleur avec moins de pluie… Notre instructeur, dont le bilinguisme est hautement apprécié en de pareils instants, est leader de la patrouille et passe avec Liverpool control qui nous identifie au squawk, nous passe une radiale et là, fantastique : une trouée, encore quelques barbules et finit le front : ciel bleu !
Survol de la piste de Liverpool avec un grand merci à la sympathique et compréhensive contrôleuse d’approche et ce sera le trait de côte jusqu’à Newby bridge, à l’entrée du parc des Cumbrians, notre première étape. Reconnaissance du point de posé, qui semble tout à fait conforme avec la photo imprimée depuis Google Earth, on baisse le pas en réduisant la vitesse et nous voilà les patins dans l’herbe devant le Swan hotel… C’est génial ! La journée a certes été longue mais nous voilà posés en plein cœur du sujet : directement sur le terrain de jeu ! Prévis MTO moyenne pour le lendemain, on verra bien. Maintenant, c’est douche et apéro ! À partir de demain les distances seront moins longues : place aux vols découverte avec des horaires plus cool.
Eggs and bacon. Les cumulus bas du petit matin ont été balayés, on va donc pouvoir passer par les montagnes, même si les sommets restent couverts. Quel spectacle, c’est la carte postale qu’on n’osait imaginer ! Un peu de fuel à Kirbride : le responsable a été prévenu comme il se doit, il suit notre intégration à la VHF, nous sert la 100 LL depuis une citerne rangée dans un conteneur (attention : pas d’automates en UK) et encaisse contre reçu. Pendant qu’une équipe s’active au refueling, l’autre réserve le resto pour le midi.
Un Loch entre Mull Island et le terrain de Oban.
Posé finalement pour la nuit au NE de l’île dans un champ au-dessus du petit hôtel de Port Askaig (avec ses deux pubs et son general store au format lilliputien !). La réceptionniste nous ayant décrit le point de posé, on descend : ce que l’on a sous les yeux semble correspondre ! En effet, nous sommes bien comme précisé « près de l’école » mais… du mauvais côté de la route : chez le copain de classe du propriétaire de l’hôtel. Et nous allons découvrir que les deux hommes sont fâchés depuis 30 ans suite à un écart de langage de l’un envers la grand-mère de l’autre, bref, nous sommes « tombés » en pleine rivalité clanique…
Nous avons cependant le meilleur contact avec les deux – séparément ! – et ce bon Donald, propriétaire du pré, nous offre même le café chez lui non sans négocier un petit billet de £ 50 « pour le permis de stationner deux nuits ». Incroyable ces Écossais ! Totalement raccords avec leur réputation ! Agréable nuit dans ce petit port avec poursuite de notre stage Whisky discovery !
Le Glenforsa Hotel, sur le terrain de Mull Island, et son bar dédié aux Warbirds.
Passage au dessus du réservoir d’eau douce de la distillerie de Caol Ila.
Avec un tel terrain de jeu, c’est la récré tous les jours…
Au menu de cette nouvelle journée : posé sur Isle of Jura, notre voisine immédiate, sur la pelouse du pub / restaurant / hôtel mitoyen de la seule distillerie de l’île et le tout face à la mer ! Qui dit mieux ?
Et tout cela après 2 coups de fils : easy going ! Dégustation de Haggis, visite des alambics puis découverte aérienne de l’île à la recherche des fameux red deers embusqués près des bois et qui sont le symbole de cette île du bout du monde. Là encore, c’est un régal avec cette interaction entre terre et océan qui offre des paysages à couper le souffle… ! Seconde nuit sur Port Askaig.
Décollage matinal vers Islay Airport pour un refill, non sans un petit posé dans l’enceinte de Ardberg Distillerie pour approfondir encore nos connaissances du Malt Tourbé, puis cap au 060 vers le continent pour un déjeuner prévu au Loch Melfort. Cette sympathique auberge où les fruits de mer, la truite et le saumon écossais sont un régal de fraîcheur, se trouve être aussi voisine de l’oncle de notre instructeur : il nous offrira une forte intéressante découverte en bateau de sa ferme aquacole. Plus notre enthousiasme pour l’Écosse et de ses merveilles augmente, plus notre autonomie diminue : flacons de whiskies et maintenant saumon sous blister ! Tout ça, c’est autant de litres x 0,77 en moins… Il faudra en tenir compte pour les branches retour.
Un petit vol de quelques minutes et c’est le nord de l’île de Mull qui nous accueille, chez Brendan, un ancien pilote de warbirds qui a ouvert un fort sympathique chalet hôtel / restaurant qui donne sur la piste en herbe de l’aéro-club. Nous abordons avec lui, autour de la bière vespérale de tradition, les itinéraires possibles pour notre redescente vers le sud de l’Angleterre, prévue dans les 48 heures N’ayant pas consommé notre « journée de secours », il nous reste un peu de temps : pourquoi ne pas ajouter une petite touche finale RAF / Bataille d’Angleterre ? Brendan n’a qu’un seul conseil : Duxford et son musée : acté ! Cheers !
Good morning ! Aujourd’hui nous allons basculer de la côte ouest vers la côte est. On commence par un dernier petit vol en patrouille dans les Lochs, quittant les côtes pour pénétrer dans les terres, les deux hélicos accrochés le long de la pente avec l’eau noire qui défile sous les patins pour découvrir en fond de vallées des paysages, là encore, tout à fait incroyables : de vrais décors pour Harry Potter !
Stop sur le terrain de Oban pour un plein de 100 LL. Avant d’attaquer les Highlands, cette fois ce sont les terres de William Wallace en cinémascope avec des sommets enneigés, le croirez-vous, à 4 000 ft au mois de juin : la météo ne doit pas toujours être aussi clémente ! En tout cas, aujourd’hui, elle nous permet de pique-niquer en pleine nature, les deux machines posées au bord d’un petit lac d’altitude. Remise en route, puis descente vers la plaine d’Edinburgh pour un posé au prestigieux Gleneagles, un des hauts lieux du golf écossais. L’occasion de clôturer notre Scottish trip avec un excellent dîner de viande d’Angus.
Le lendemain, retour sur l’Angleterre et point MTO : entre notre point de départ, où il fait encore beau, et celui d’arrivée, il y a un front, certes assez étroit, mais avec visiblement des zones plus IFR que VFR… Nous partons quand même et verrons si nous devons nous arrêter en route. Première altération au programme après une heure de vol, le petit terrain prévu pour le premier refueling est QGO, on va donc stopper avant à Newcastle Airport. Ce sera le plein sous le crachin et £ 60 de handling par machine : belle journée !
Un Highland, boeuf écossais, pose devant les deux hélices posés près du Loch Melfort.
Sur l’île de Jura, 5 000 cerfs, une seule distillerie!
II sera difficile d’en rester-là…
Le plafond étant encore haut, nous repartons cap au sud-est en liaison radio avec le contrôle régional. Comme il fallait s’y attendre, les conditions se dégradent et le plafond avec. Nous avons rejoint la côte, il est 12 h 30, la petit ville de Scarborough sous les patins, le stop déjeuner semble opportun : on quitte le contrôle et on se pose en bordure d’un champ labouré, près d’un sentier qui va vers la ville. Le pub est juste à l’entrée ! Deux Bobbies viennent nous rendre visite entre le burger et le café, alertés par des riverains sûrement inquiets d’avoir vu deux hélicos se poser : explications quant à notre prise de décision, un coup d’œil aux carnets : « Merci de nous prévenir quand vous repartirez et bon appétit ! » : facilité et convivialité à mettre au crédit d’Albion !
Mystères et névés des highlands.
Le temps ne s’est guère amélioré, le front avance très lentement d’après le relevé satellite et la carte MTO, super accessibles sur l’appli smartphone CAVOK. Par contre, il y a un meilleur plafond et le pompiste du petit terrain de North Coates, qui nous attend pour le stop essence, nous confirme que le front est passé et que c’est grand beau chez lui. On décide donc d’y aller lentement en longeant le trait de côte : après 15 minutes sous une MTO à vous donner le spleen, c’est blue sky avec du soleil, quel changement ! C’est ça aussi l’English weather ! Merci au pompiste ainsi qu’à l’équipe de sécurité aéroport de Duxford pour nous avoir attendus malgré notre retard pris à cause du mauvais temps. Car in UK, sans rendez-vous et sans accord préalable : pas d’essence et pas de posé !
Temps de curé : une belle visite du musée avec sa très riche collection d’avions comme de matériels de la Seconde Guerre. Déjeuner, puis, après avoir rempli les papiers de Douane et le plan de vol transmanche, c’est une directe sur Le Touquet avec une belle vue d’altitude sur le Channel et tous les sillages de bateaux, et déjà un petit fond de nostalgie qui sourde… En écrivant ces bons souvenirs, je me dis que la Croatie ce serait peut-être pas mal la prochaine fois…
Quand on y a goûté…
En patrouille autour de Jura Island à l’affut des cervidés.