Lors d’un cocktail à la DGAC il y a quelques années, nous refaisions le monde de l’aviation avec nos hôtes dans la bonne humeur quand la conversation est tombée sur les risques considérables que je prenais en entraînant derrière moi, même bénévolement, des pilotes privés à travers des régions hostiles. Nous étions une cinquantaine de pilotes, avec encore des étoiles plein les yeux, à être revenus entiers d’un voyage au Spitzberg, là où l’eau est glaciale et les ours blancs sans pitié, et je savais pertinemment que, une fois encore, j’avais eu de la chance. J’ai répondu : « Il y a des risques qui valent la peine, vous ne croyez pas ? » Personne n’a rien dit, je sentais que mes interlocuteurs auraient aimé partager cette vision de l’existence, mais que les mises en examen à la suite d’accidents aériens ces vingt dernières années les en empêchaient.
Car nos fonctionnaires, D-G y compris, ne sont pas plus protégés que nous devant le rouleau compresseur judiciaire. Moins même puisqu’ils font les règles du jeu.
Je n’ai donc pas été vraiment étonné de recevoir un appel désespéré de Bertrand Joab-Cornu, fondateur de la start-up wingly, qui m’annonçait que la DGAC avait finalement encadré l’activité de coavionnage, mais de manière si restrictive que son marché potentiel allait être réduit de 80 %. Et effectivement, dès le lendemain, nous avons pu lire la décision encadrant ce type d’opérations prise en application de l’article 14 du règlement (CE) n°216/2008. Puis aujourd’hui, le jour où nos fichiers partaient chez l’imprimeur, Youssef Oubihi, concurrent de Bertrand, m’a envoyé un mail sympa pour me remercier de prendre la peine de parler de la nouvelle réglementation dans le numéro de septembre. Comment refuser ?
Il serait étonnant que Patrick Gandil, qui vient de signer cet arrêté en tant que D-G, ne l’ait pas fait à contrecœur : c’est un homme de progrès ainsi qu’il l’a prouvé lorsqu’il a contraint son administration à inventer l’IR privé. Je ne lui poserai pas la question car elle ne pourra qu’être négative, ou alors « off », pour la raison que j’ai énoncée en préambule. Et s’il souhaitait finalement en son for intérieur que cet arrêté soit contesté ? Il aura au moins appliqué les principes de précaution d’usage en tant que responsable de la sécurité aérienne.
Partant de cette hypothèse, j’ai téléphoné à Me Castel, qui devait s’ennuyer ferme sur la plage de la Pointe rouge à Marseille, car il m’a immédiatement livré, via son smartphone, une première analyse des éléments en ma possession. La voici, sous réserve que des grains de sable se soient mélangés aux électrons : « Il s’agit d’un arrêté qui est donc susceptible de recours devant le tribunal administratif. Pour cela il faut engager deux procédures, à savoir un référé pour suspension de l’arrêté du 22 août 2016 pour non-conformité avec le texte européen du 2 mars 2016 et, en même temps, faire une procédure en annulation au fond, ces deux procédures étant à mener obligatoirement conjointement. Curieusement la décision du 22 août fait référence au règlement communautaire 216 de l’année 2008 et non à la directive plus récente de mars 2016 qui est applicable à partir du 25 août. D’après ce que tu m’as indiqué, le texte européen de mars 2016 ne contient aucune restriction et parle d’application à date fixe au 25 août. Sous réserve de vérification complète de ce texte européen, la France sera tenue de l’appliquer tel qu’il est rédigé, c’est-à-dire avec la simple exigence d’une licence de pilote privé sans ajout d’expérience ni de qualification IFR. J’ajoute que si des pilotes devaient être poursuivis sur le plan pénal, ils auront la possibilité de soulever l’illégalité de l’arrêté du 22 août 2016 pour non-conformité avec le texte européen qui constitue un traité international ayant valeur constitutionnelle supérieure à la loi française. Si tu le souhaites je peux approfondir la question cet après-midi ? » Pas le temps de développer dans l’immédiat, mais voilà déjà du grain à moudre pour des milliers de pilotes potentiellement contestataires !