En lisant l’essai en vol de l’Acclaim Ultra par David Kromka le mois dernier, j’ai été surpris de découvrir le prix de vente de ce Mooney, de l’ordre du million de dollars une fois l’avion en Europe et la TVA acquittée. De mon point de vue, même si l’on est très riche, ce prix est désormais dissuasif car il ne s’agit, après tout, que d’un petit quadriplace à moteur à pistons, avec un intérieur grand luxe et une double porte d’accès.
C’est le dilemme qui s’impose à toute société : moins on vend, plus les prix renchérissent, moins on vend… Au point que, d’après mes sources, le consortium chinois qui a racheté le constructeur texan en 2013 commencerait à se lasser. Des informations semblables courent d’ailleurs sur d’autres constructeurs.
Notre Aviation Générale serait-elle vraiment maudite ? Non car Mooney s’en sortira une fois encore, il a régulièrement connu des difficultés depuis sa création en 1929. Du reste, construire des avions légers n’a jamais été une sinécure comme le prouve l’histoire tellement mouvementée des entreprises créées par les Walter Beech, Clyde Cessna, William Piper, Pierre Robin, René Fournier, Max Holste, etc. Tous ont dû mener des combats homériques pour arriver à marquer l’histoire de l’aviation et faire entrer leurs compagnies dans le panthéon aéronautique. Cette combativité est d’ailleurs le fil rouge qui les relie tous. Ces combattants ont marqué l’histoire, mais combien sont restés dans la pénombre ?
Je viens justement d’en découvrir un en me plongeant dans un livre qui venait d’arriver à la rédaction, Envolée à Deux, par Geneviève Mondran-Ranjon.
Si le nom de Ranjon ne vous dit rien, sachez que Marc Ranjon est expert aéronautique auprès des compagnies d’assurances, un expert positif et consciencieux puisqu’il nous a parfois appelés pour vérifier une info ou avoir un point de vue autre que le sien.
Marc est aussi un auteur et un éditeur, un touche-à-tout boulimique qui a commis un premier ouvrage, une « bible » intitulée l’Encyclopédie des Monomoteurs et qui jamais n’arrête d’y ajouter des volumes : les Avions de ligne, les Avions Piper et récemment les Avions Cessna.
Comme nous nous étions vus la semaine précédente et qu’il ne m’en avait rien dit, je me suis jeté sur cette biographie écrite par son épouse Geneviève, celle qui l’accompagne dans tous ses déplacements au point qu’ils sont comme amalgamés, y découvrant mille aventures racontées simplement. J’avais totalement oublié l’heure lorsque j’ai appelé Marc bien tard car il me fallait absolument dire à cet homme discret combien je me sentais désolé d’avoir manqué par indifférence ou manque de temps – ce qui revient au même – autant d’épisodes de leur vie si mouvementée, passionnante et bouleversante.
Derrière chaque grand homme il y a une femme, dit-on. Eh bien c’est une certitude quand on découvre combien de dangers et de difficultés physiques et morales Marc Ranjon a dû affronter dans ses vies de pilote militaire, de pilote de ligne, de pilote d’essai, de vendeur d’avions et de constructeur aéronautique. Geneviève et Marc forment à l’évidence un tout indissociable, unis pour le meilleur comme le laisse apparaître ces mémoires et le pire quand ils ont connu le succès après avoir créé Centrair.
On sent à travers les mots combien les attaques des requins de la finance, des ambitieux de la politique et des petits chefs de l’Administration ont été sournoises et terribles. Et aussi combien elles ont laissé de crainte dans leurs esprits puisque les initiales émaillent l’ouvrage, par peur des poursuites judiciaires pour diffamation, j’imagine. Cela se comprend quand on lit dans les annexes du livre, sur 4 colonnes publiées dans la presse régionale, que « le fondateur de Centrair, Marc Ranjon, a été inculpé de vol de plans d’avions » pour être innocenté plus tard, évidemment.
Construire des avions légers n’a jamais été une sinécure comme je le rappelais en préambule. Mais l’histoire industrielle de Marc Rajon, racontée avec une lucidité tranquille par son épouse, défie l’entendement !
Jacques Callies