Tout d’abord, je tiens à rappeler que je ne suis pas du genre à hésiter devant la complexité d’un vol, et je crois l’avoir prouvé en traversant l’Atlantique nord des dizaines de fois, aux commandes de monomoteurs pistons, et même une fois de nuit, bien obligé quand Gilles Khaïat et moi-même avons volé non-stop de New York à Cannes avec le Mooney. Et, pourtant, malgré ma confiance, née de plusieurs décennies à pratiquer l’aviation générale assidûment, il y a encore une envie que je n’ai pas réussi à assouvir, celle de terminer mon autorisation de site Courchevel.
La première raison est la durée de la formation que j’avais entreprise chez Alpine Airlines, école agréée sur Courchevel. Entre la partie théorique et les tours de piste en Cessna 172 pour comprendre l’approche et l’atterrissage, je n’ai pas eu le temps de terminer car mes trois atterrissages réussis n’ont pas été jugés probants puisque la stabilité de l’air ce jour-là ne m’avait pas permis de déjouer d’éventuels pièges aérologiques, ce qui n’allait pas manquer d’arriver puisque 20 tours de piste étaient prévus sur plusieurs jours dans mon forfait. J’ai hélas dû repartir avant, car j’allais devenir grand-père et cela, c’était prioritaire.
La seconde était le fait que, une fois qualifié, et si je voulais revenir me poser en Mooney, il me faudrait m’y préparer et être accompagné par un instructeur à partir de Chambéry, ce qui était du reste prévu dans mon forfait formation.
Vous comprenez donc pourquoi j’ai été désolé d’apprendre, à propos du dernier atterrissage manqué survenu à Courchevel, que le jeune CdB du Piper Malibu s’était formé plutôt rapidement sur un avion idéal pour la montagne, un « Mousse », puis était revenu s’y poser quelques mois plus tard avec un mini-avion d’affaires, et très peu d’expérience sur la machine, ce qui n’a pas été difficile à savoir puisque le propriétaire de l’avion affrété est un lecteur et qu’il m’en a aussitôt prévenu.
Était-ce raisonnable ?
Nous avons donc enquêté sur cette affaire, car elle comportait énormément d’éléments pour le moins troublants et nous la publions dans ce numéro. Notre seul regret, c’est de n’avoir pu joindre les pilotes qui sont depuis aux abonnés absents. Certains de nos amis auraient souhaité que l’on se dispense de cette enquête, selon le principe qu’on ne tire pas sur une ambulance. C’est un point de vue, mais je pense que cette histoire donne vraiment à réfléchir.
D’abord sur l’aviation générale, qui n’a plus la cote comme je l’écrivais il y a deux mois, dont l’aire de jeu ou d’évolution, selon qu’on pratique l’aviation de loisirs ou d’affaires, coincée entre drones et avions de ligne, est vampirisée petit à petit, lorgnée par les rapaces bipèdes, surveillée de l’administration, jalousée par ceux qui se refusent à comprendre notre plaisir. Comment la défendre efficacement si nous ne visons pas l’excellence, histoire d’être les moins mauvais possible quand survient l’imprévu ?
Ensuite sur le délicat métier d’instructeur, sur celui qui se sent toujours responsable de ce qui arrive à son élève et qui s’inquiète autant que ce dernier le jour de son premier solo. Dans tous les cas, c’est un homme compétent, compte tenu de la formation implacable par laquelle il doit passer pour le devenir – il est pourtant bénévole dans 90 % des cas, corvéable à merci, car l’élève en formation ne tolère pas ses absences. J’en ai pris vraiment conscience en me préparant à suivre une formation d’instructeur de qualification de classe (CRI) puisqu’il m’arrive souvent de voler en tant que safety pilot. Mes amis se plaignant parfois de mon manque de pédagogie lorsque je leur dis qu’ils font n’importe quoi, j’ai donc décidé de retourner à l’école Aéropyrénées et d’y apprendre les fondamentaux de l’instruction.
Ceci dit, ce n’est pas gagné car j’ai déjà dû repasser l’épreuve écrite d’entrée en stage. Côté pratique, j’ai été jugé apte du premier coup même si j’ai lu sur la feuille de mon testeur : quel cirque ! Une simple affaire d’appréciation sur le fort vent plein travers ce jour-là, qui ne m’avait pas gêné, mais qui aurait dû faire partie des « threat and error management » (TEM). Maintenant, il va falloir que je trouve du temps mais je suis motivé par l’idée de vous raconter l’aventure et, peut-être, d’en inspirer certains car l’aviation générale manque cruellement d’instructeurs en cette période de tension dans l’aérien.
Je veux croire en la nécessité de dire les choses même si tout le monde ne nous lit pas. N’avais-je pas raconté que chaque accident à Courchevel est induit par un pilotage sans aucun rapport avec l’enseignement qui a été dispensé lors de la délivrance de l’autorisation de site, au point que les pompiers sont en alerte, préparés au pire, quand est annoncé tel habitué, au pilotage imprévisible ?
Jacques CALLIES