New Frontier. . Entre nécessité économique et contrainte environnementale, les CCI et autres gestionnaires se préparent à un changement possible de paradigme. Le maillage local.
C’est incroyable comment un virus a pu sensiblement changer le fonctionnement du transport aérien. L’effet papillon. On ne reparlera pas des immenses pertes des compagnies et des immenses aides des gouvernements pour soutenir leurs majors. La nouvelle organisation du secteur régional français (redéploiement de HOP, montée en puissance de Transavia) accrédite dans l’esprit des gens la thèse que ce segment est presque devenu un désert. Le point faible de notre pays. En région, les chefs d’entreprise qui ont le plus besoin de l’aviation, voire de la petite aviation, se plaignent. Les grandes compagnies, par définition, ne se posent pas sur les petits terrains et elles manquent de souplesse, on le sait, pour certaines destinations.
Cette distorsion des besoins impose souvent aux décideurs qui ne voyagent pas tous le week-end (la population VFR) de prendre leur voiture avec des temps de trajet beaucoup trop longs et, surtout, toujours un peu plus générateurs de CO2. Depuis plusieurs années, l’aviation d’affaires est une solution, mais les tarifs sont plus élevés que ceux de la ligne. En marge de ce dispositif, on voit naître localement des initiatives pour permettre aux dirigeants de se déplacer facilement et de manière plus efficace.
C’est le cas à Montpellier où Instant’Air a démarré ses activités depuis le mois de mars. « Il n’existe aucune compagnie basée sur le terrain et pourtant, il y a un vrai besoin local. Nous l’avons identifié par notre connaissance du milieu de l’entrepreneuriat, mais également au travers de nos relations avec la CCI qui s’est chargée en partie de faire notre communication », explique Loïc Balthazard, l’un des fondateurs de l’entreprise. En fait, en regardant bien sur le site de l’aéroport, les grandes compagnies comme Transavia ou Volotea desservent des grandes villes de France, mais avec des temps de vol et des fréquences assez contraignants dès qu’il ne s’agit pas de… Paris. Instant’Air est un groupement d’intérêt économique (GIE) qui exploite un DA62 neuf. Un seul chiffre pourrait expliquer la naissance de cette start-up aérienne : le trajet Bordeaux-Montpellier nécessite une heure quinze de vol contre quatre heures trente par la route.
GIE : chaque client est actionnaire
Le principe du GIE est connu : chaque client est actionnaire et l’avion est loué coque nue à une entreprise, cette dernière fait appel à un pilote au travers d’une autre structure. Il ne doit y avoir aucun lien entre ces deux démarches, faute de quoi, on pourrait se trouver dans une situation de transport public illégal.
Le DA62 est également connu : économe, confortable et assez rapide, c’est un moyen de transport efficace et adapté à des destinations proches comme Bordeaux, Ajaccio, Annecy… Le coût d’exploitation place le DA62 à environ 1000 euros de l’heure de vol, ce qui reste très en deçà de ceux du jet (3000 euros/hdv), pour peu que le passager n’ait évidemment pas la folie des grandeurs. La mise en place est facile, le préavis de décollage assez court, permettant au client d’être réactif.
Depuis la création d’Instant’Air, l’avion a effectué une cinquantaine d’heures de vol. Cela peut paraître peu, mais par temps de COVID, c’est honorable. L’idée d’un transport à la demande doit encore se diffuser dans les milieux d’affaires locaux… Le GIE n’est pas nécessairement d’une grande souplesse, il faut mettre les statuts à jour à chaque arrivée d’un nouveau client actionnaire. L’objectif est de pérenniser l’exploitation du DA62, voire par la suite d’acquérir un appareil plus rapide pour, ensuite, peut-être s’atteler à l’obtention d’un certificat de transporteur aérien (CTA). L’entretien est assuré par l’atelier de maintenance d’ATA, dirigé par Pierre Pelletier. Non loin de là, à Perpignan, c’est du côté de l’école Aeropyrénées que vient l’initiative. En effet, un des membres de l’organisme travaille à la création, cette fois, d’une compagnie aérienne qui aurait également la vocation de proposer aux chefs d’entreprise un outil de déplacement facile à exploiter, sachant qu’il n’existe pas d’aviation d’affaires sur la plateforme. Julien Malbranche, un des initiateurs du projet, a, lui, clairement identifié une clientèle potentielle de dirigeants qui travaillent avec le Maroc, dans le cadre de divers salons, mais également des sportifs…
Apyjet a vocation également à se déplacer vers l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Elle proposera des vols régionaux, mais aussi des vols nationaux dans la proche Europe. La solution du GIE n’a pas été retenue pour des raisons, selon Julien, de forme de responsabilité : la voie du CTA lui paraît la plus cohérente. Logiquement, adossée à Aéropyrénées, elle sera gréée avec les pilotes qui seront formés au sein de l’école, pour l’essentiel des instructeurs en cours de « prise d’expérience », voire de très « bons pilotes ».
Démarrer avec l’exploitation d’un PC-12
La formule n’est d’ailleurs pas une révolution puisque d’autres ATO français connus ont le même schéma de fonctionnement. Contrairement à ce que son nom laisse sous-entendre, elle devrait commencer par exploiter un PC-12 (et ses neuf places), l’avion à tout faire, celui qui se pose presque partout avec des coûts ultra-raisonnables. Un second appareil de type Piper M500 pourrait rejoindre le Pilatus, proposant ainsi un module mieux adapté à une demande spécifique.
Aujourd’hui, Julien travaille surtout sur la partie « dure » : le CTA, sachant que les exigences de l’autorité sont les mêmes que pour une grande compagnie, même si les coûts ne s’amortissent pas de façon identique. L’exploitation répondra dans un premier temps à du vol à la demande avant de passer au régulier. Les initiateurs du projet espèrent un décollage en 2023 au plus tard. L’implantation d’une compagnie aérienne est une marche haute, y compris pour des professionnels de l’aérien. Ainsi, Air Catalogne, qui devait effectuer ses premiers vols en juin en direction des Baléares a dû suspendre son programme, faute d’avoir pu obtenir un CTA en temps et en heure. Une liaison sur Paris était prévue à terme. Toute l’équipe dirigeante continue de travailler sur le projet.
Une solution : OpenFly en Bretagne
En Bretagne, Lorient Agglomération a pris, il y a quelques mois, une initiative particulière qui pourrait faire école. Face la fermeture de la ligne HOP Lorient-Lyon en 2020 et de celle reliant Lorient à Paris, la collectivité locale a sollicité les responsables de la plateforme OpenFly pour entrer en contact avec des propriétaires d’avions (catégorie petite aviation d’affaires) afin de contribuer financièrement à la mise en place d’une offre de transport pour les entrepreneurs morbihannais. Les élus de Bretagne Sud ont naturellement marqué leur opposition au départ d’Air France, au travers de l’appel des 56 en juillet 2020. Ils demandaient la continuité de l’exploitation à Lorient, en arguant que 70 % des entrepreneurs locaux allaient jusqu’à Charles-de-Gaulle en correspondance sur des vols internationaux et que les coefficients de remplissage étaient de 83 % pour Paris et 73 % pour Lyon. De plus, la plateforme ne tombait pas sous la contrainte de l’alternative ferroviaire des deux heures trente, voulue par le gouvernement. Mais les élus locaux et la compagnie n’avaient clairement pas les mêmes intérêts.
Crée en 2017, OpenFly est une plateforme de mise en relation de passagers, propriétaires d’avions et pilotes professionnels qualifiés sur les appareils proposés. Il y existe de multiples propriétaires — y compris des exploitants de compagnies — inscrits sur la plateforme, mais deux d’entre eux ont été retenus pour Lorient.
Lorient Agglo investit pour disposer de deux avions
L’agglomération finance la mise à disposition des appareils et une partie du coût de l’heure de vol, environ 30 %. Les deux machines choisies, un M350 et un M500 à turbine, ont vocation à assurer des rotations vers des destinations européennes, voire juste françaises. Aucune étude de marché n’a lancé l’opération, mais on peut penser que l’agglomération dispose d’assez de relais locaux pour faciliter le succès de ce montage. Les appareils sont sous la responsabilité de leurs propriétaires en matière d’entretien, certains penseront ici que l’obligation de suivi dans un atelier agréé type Part-145 aurait pu être plus forte.
La somme allouée pour cette mise à disposition est de 40 000 euros, ce n’est pas une subvention puisqu’elle rémunère un service rendu, celui de la fourniture des appareils. Au plan technique, l’accès à la plateforme s’effectue par un site web et, surtout, une application mobile, bien faite, donnant pas mal d’informations pour une prise de décision rapide, tarifs, horaires, etc. On pourrait s’attendre à une croissance rapide du dispositif, mais on ne peut pas dire que les Français soient vraiment « agiles ». Pourtant, les avantages de cette micro-aviation d’affaires s’expriment clairement quand on compare les temps d’accès entre villes.
« Aller à Bordeaux de Bretagne en partant de Niort, ce n’est pas très marrant et cela dure 5 heures. En avion, on fait l’aller-retour dans la journée. Finalement, notre concurrent, c’est la voiture, pas la ligne ou les autres lignes de compagnies aériennes. C’est encore plus flagrant pour une liaison vers Lyon. On met cette souplesse à un coût qui est, certes, plus élevé qu’un billet d’une airline comme HOP, mais le gain en temps en fatigue est bien réel et parfaitement mesurable », explique Olivier Bécot, le dirigeant d’OpenFly.
Le principe est simple, il faut que les entreprises qui vont profiter de ce service soient abonnées. Cette souplesse de transport peut également permettre de relier ensemble les aéroports de la Bretagne. Ainsi, les dirigeants lorientais pourraient utiliser OpenFly pour rallier Nantes ou Brest qui sont encore connectées à Paris Charles-de-Gaulle avec HOP et Transavia. La Bretagne dispose de plusieurs plateformes aéroportuaires qui ne peuvent pas toutes, on s’en doute, accueillir des compagnies aériennes. Deux ou trois terrains pourraient suffire à condition qu’ils soient connectables, OpenFly ou d’autres petits opérateurs ont très certainement un rôle à jouer.
Par ailleurs, toutes les parties prenantes savent que les écologistes sont plutôt réfractaires au développement de l’aérien, mais, selon Olivier Bécot, l’impact environnemental reste très limité, notamment à cause du caractère occasionnel de l’usage de l’aérien. Une chose est sûre, en dépit des prises de conscience écologistes : les élus demeurent convaincus que l’aviation est un outil de désenclavement de développement, c’est également un moyen de conserver un tissu économique actif dans les régions, c’est le maître-mot de Charles Cabillic, propriétaire d’OpenFly, de Finistair et du groupe W3. Il est un ardent militant pour que les entreprises restent en région.
Le projet Brocéliande à Morlaix
À Morlaix, le départ de HOP a entraîné la fermeture de la maintenance de la compagnie et de son centre de formation, HOP Training, ce qui scandalise les élus. Par ailleurs, les CJR (700 et 1000) de HOP sont d’ores et déjà sortis de la flotte, celle-ci utilisant plutôt les Embraer pour ses liaisons avec les hubs parisiens et lyonnais. Pour éviter que l’aéroport de Morlaix devienne une friche industrielle, l’agglomération envisage sa reconversion en pôle aéronautique au travers du projet Brocéliande. Le groupe Sparfell, spécialisé dans l’aviation d’affaires, s’intéresse à la partie maintenance ; une autre entreprise dont le nom n’est pas encore connu à la partie formation. Enfin, il est envisagé de créer une compagnie régionale à Morlaix qui aurait des destinations européennes, ce qui permettait d’éviter de passer par Paris pour certaines liaisons. À l’occasion de son désengagement, Air France a fait savoir qu’elle se disait prête à aider d’éventuels repreneurs de ses lignes. La presse locale a évoqué un chiffre de 10 millions d’euros pour la vente de ses actifs. Le ticket de sortie est cher pour une entreprise qui, de surcroît, laisserait 276 salariés au chômage.
« Je défends le projet Brocéliande, il permet de sauvegarder une plateforme, des emplois et donne la possibilité à la Bretagne d’avoir une compagnie dotée d’avions entre 70 et 100 sièges, un module adapté et intermédiaire entre les 19/30 places des Beech de Chalair et les 180 places de Transavia avec leur 737. Pour cette dernière, les vols vers l’Europe correspondent plus à une clientèle VFR de fin de semaine, idem pour les low cost, ce qui n’est pas complètement adapté à celle d’affaires. Les autres petites compagnies françaises n’ont pas non plus de modules assez grands. Je pense également qu’il est parfois difficile de passer d’une compagnie un peu artisanale à un niveau plus important. Concernant Morlaix, je préfère travailler à l’émergence d’une airline française plutôt qu’une Ryanair, mais je pense néanmoins que les low cost étrangères n’auront aucun complexe à venir sur ce créneau. Le plus désolant est que HOP ne part pas faute de passagers, mais à cause d’un environnement trop coûteux entre les escales et le personnel. Quel gâchis », explique Gilles Tellier, directeur de la plateforme de Brest. Le responsable estime en revanche que la solution OpenFly a de beaux jours devant elle ; c’est une niche, mais elle lui apparaît efficace.
Edeis se pose en aménageur
Un autre acteur de l’aérien reste très concerné par le devenir du transport aérien régional : Edeis qui gère plusieurs plateformes en France. Ses dirigeants sont confrontés aux carences de dessertes, voire aux compagnies aériennes qui desservent des lignes ou qui en sont exclues au détour d’un appel d’offres. « Il est fondamental d’avoir une vision d’aménageur quand on parle d’un aéroport régional. C’est un outil qui fait partie d’un dispositif plus vaste. Il prend réellement de l’importance lorsque les responsables de compagnies comprennent qu’il est le point d’entrée pour valoriser un territoire, ses richesses, sa culture, ses sites touristiques, ses particularismes. Voilà aussi pourquoi Edeis est investi dans un aménagement plus global d’une infrastructure, nous ne gérons pas seulement des aéroports, mais également des ports, des sites touristiques, etc. Nous travaillons à un remaillage géographique de l’aérien, tout en intégrant également les positions de ceux qui y sont opposés. Il y a un enjeu dont il faut se saisir : les appareils propres ou à faible impact environnemental, ceux qui répondent aux impératifs de la diminution de l’empreinte carbone voulue par l’État et nos concitoyens. C’est notamment un critère qui devrait être pris en compte à terme dans le cahier des charges des lignes OSP. Nous avons un vrai travail de conviction à mener auprès des entreprises sur la pertinence d’un outil de développement comme l’est un aéroport. Il existe des sociétés comme Amelia qui ont des ambitions territoriales. Il y a des liaisons interrégionales à créer, même si elles peuvent comporter des étapes. Souvent, les grandes compagnies ont des organisations trop lourdes, elles manquent de réactivité. Or, ce sont les plus agiles qui peuvent trouver des solutions adaptées aux petits terrains », explique Olivier Galzi, vice-président d’Edeis.
Partenaire du Cassio de Jean Botti
C’est aussi pour cette raison que l’aménageur est un des partenaires de Jean Botti et de son Cassio. Edeis a coorganisé le tour de France du démonstrateur. Rappelons que l’un des appareils de la famille sera un petit avion de transport (entre 6 et 10 places) qui pourrait servir à créer des liaisons « propres » entre aéroports régionaux de taille modeste. L’idée est séduisante et c’est certainement le but à atteindre, mais il y a encore pas mal d’étapes et d’inconnues entre le projet et la réalité. L’avion n’est pas certifié, quelles seront les règles dédiées aux appareils électriques, voire hybrides, pour l’obtention du certificat de transporteur aérien ? La certification pour le grand public classique est une chose, les exigences de sécurité et de fiabilité seront plus strictes pour le transport public. Il est d’ailleurs probable que l’exploitation du Cassio III soit dans un premier temps sous un régime de GIE.
Parmi les inconnues du dossier, quel sera le coût de la machine et de son exploitation ? Quelles aides l’État et les collectivités locales pourront-ils fournir pour appuyer le projet ? Comment rendre plus simple l’obtention du label OSP pour une compagnie dont les coûts d’exploitation devraient être logiquement moins élevés ? Jean Botti n’est pas seul à travailler sur ce sujet, Jeremy Caussade, le dirigeant d’Aura Aero, a décidé de lancer une étude pour la fabrication d’un appareil hybride de 19 places.
Partout dans le monde, les projets d’avions à faible empreinte carbone se multiplient. Coûts raisonnables (on l’espère) et facilité d’usage devraient permettre la création de petites lignes interrégionales et interdépartementales. Françoise Horiot, la présidente du GIPAG, s’est dite emballée par les perspectives du Cassio. Toutefois, rien n’est gagné quand on sait les menaces qui pèsent sur les aéroports comme à Poitiers. De plus, il faudra vaincre un triple frein : ceux qui pensent toujours que cela ne marchera jamais, ceux qui ne jurent que par la fiabilité des vieilles solutions dans l’aérien et l’esprit général des Français pas réellement tourné vers des options nouvelles. Une partie de l’espoir pourra venir comme toujours des jeunes générations, légèrement geek, qui aimeront voler sur des avions ultramodernes et connectés.