Me voilà de retour sur la fréquence, c’est ce qui était prévu, il suffisait de lire soigneusement l’édito d’Emmanuel pour comprendre que nous avions simplement choisi de faire bouger les lignes pour coller à l’air du temps et préparer, avec ceux d’entre vous qui le souhaitent et en ont le talent, un Aviation et Pilote 3.0. Rien de révolutionnaire, il faut juste suivre le mouvement, j’en suis convaincu depuis que j’ai observé mon petit-fils Louis, 4 ans à l’époque, s’emparer de l’iPhone de sa mère et zapper à toute vitesse jusqu’à afficher la chaîne Disney+ et son profil où il savait pouvoir regarder Sam le Pompier.
Ceci posé, certains messages reçus m’ont fait plaisir, comme celui de Dominique Mourot, lecteur attentif, que j’ai fait voler la tête en bas il y a bien longtemps, du temps du Yak 52 que nous partagions avec Jean Boyé, notre pilote de Concorde préféré : « C’est quoi ce bordel d’édito dans A&P ! Tu quittes le navire… Je veux dire la fréquence ? On a presque l’impression que A&P est à vendre. Qu’est-ce qui se passe ? T’as le Covid ? Si je n’ai pas tes navs régulièrement sur l’Atlantique, je ne vais pas vivre pareil. Amitiés. DM » Évidemment, j’ai expliqué à Dominique, comme je l’ai fait avec tous ceux qui ont suréagi à l’édito d’Emmanuel, qu’il fallait bien que je me libère un jour des servitudes du rythme mensuel pour faire le petit tour du monde dont je rêve. C’est ce que vient de faire Zara Rutherford, dont nous avons publié la folle histoire dans le dernier numéro, et cela a réveillé des envies enfouies sous des strates de tâches routinières. En plus, partager la Une, cela me semble une idée normale, même si j’apprécie ce rendez-vous intime, ces mots jetés au dernier moment, sans recul possible, comme un cri du cœur, avec souvent la maladresse qui accompagne la spontanéité.
Justement, ces derniers jours, nous avons volé et cela m’a permis de faire quelques observations. La première, c’est le gaspillage. Notre N77GJ a quitté Melun : le manque de contrôleurs en est la cause car les arrivées de nuit par mauvais temps, sans plus jamais aucun contrôle aérien, devenaient aléatoires. On est donc repartis pour nos chronophages AR Lognes-Toussus en voiture et une pollution dommageable, même si la gentillesse de Nabil Bali, du handling Air Services Group, compense, mais pas le CO2 dégagé. Mais ce qui nous désole le plus, c’est la fin programmée de la tour de contrôle de Melun, hyperéquipée, avec tout ce qui accompagne un contrôle aérien au sol, en approche et en région. Et, dans le même temps, comment ne pas aussi s’indigner de la construction – par le gestionnaire de la plate-forme qui devra forcément en répercuter le coût – d’une tour de contrôle pour agent AFIS : pourquoi un tel gaspillage ?
Ma seconde observation concerne à nouveau les créneaux de décollage. Le jour de notre départ, par exemple, le plafond restant scotché à 500 ft, nous avons déposé un plan de vol IFR à 09 h 00 et nous nous sommes vus octroyer un Calculated Take-Off Time (CTOT) à 13 h 00. Une blague ? Non. Certes, cela nous laissait le temps de refaire le monde, mais les exploitants et handlers enragent, je le sais. D’autant que cela peut être dangereux : la semaine dernière, Jean-Michel et moi étions bien avant 08 h 00 à Toussus, car il n’est pas question d’être en retard quand on a un slot : eh bien, le nôtre à 08 h 40 a permis à un brouillard givrant de tomber, 400 m de visibilité, cela permet rouler et de décoller, mais pas avec un pare-brise opaque. Il a donc fallu aller le nettoyer, une fois le moteur en route, avec tous les risques inhérents.
Ma dernière remarque est plus heureuse : dès qu’il fait beau, les avions volent à nouveau, c’est extraordinaire après tous ces silences effrayants sur les fréquences de contrôle. Sur celles partagées récemment entre VFR et IFR – notamment Seine et Bâle –, il nous a fallu à chaque fois plus de dix minutes avant de pouvoir nous annoncer. Outre l’intérêt de découvrir parfois des destinations étranges et poétiques, c’est un excellent signe de vitalité retrouvée.
Enfin, n’oublions jamais que, en aviation, discipline exigeante s’il en est, le compagnonnage et le partage sont les valeurs essentielles qui permettent aux pilotes les moins expérimentés d’acquérir des compétences rapidement et en sécurité. Nous l’avons démontré à travers les grands voyages que nous avons organisés et nous sommes heureux quand nous apprenons que nous avons « ouvert les portes du monde entier » à certains.
Soyez assurés que le rôle de « mentor pilot » n’est pas réservé aux seuls pilotes chevronnés. Chacun peut et devrait partager son expérience et sa passion. Le simple fait de faire découvrir l’aviation et le pilotage à une autre personne fera progresser tout le milieu. Savez-vous que pas loin de 50 % des brevetés abandonne le pilotage dans les cinq années qui suivent l’obtention de leur licence ? En réduisant ce chiffre astronomique à 25 %, nous ferions croître la population de pilotes et, globalement, nous serions à terme une force avec laquelle nos élus devraient compter !
Jacques CALLIES